Les groupes islamistes radicaux qui contrôlent le nord du Mali y font régner une forme de terreur emprunte de la charia, la loi islamique. Pourtant, malgré les interdictions, les châtiments et les emprisonnements, les populations commencent doucement à sortir de la torpeur dans laquelle elles étaient confinées. Serge Daniel, l’un des rares journalistes à pouvoir encore sillonner le Nord-Mali, est allé à la rencontre de ces nouveaux rebelles. Reportage.
Sur le terrain, l’application de la charia a laissé des traces: mains et pieds coupés pour les voleurs, coups de fouet pour des délits mineurs, interdiction de fumer, de regarder la télé, mariage précoce pour les filles…
L’image des djihadistes en a pris un bon coup: ils sont devenus de plus en plus impopulaires.
Désobéir pour resister
Du coup, une forme de désobéissance civile s’installe. Le jour de la tabaski (fêt du mouton, le 26 octobre 2012), des femmes de Douentza ont bravé l’obligation de porter le voile.
Assise dans la cours de sa maison dans un quartier populaire de Douentza (ville située à la limite du sud et du nord du pays), une dame, entourée de ses deux enfants, explique:
«Regardez mes jolies tresses. En ce jour de fêtes, ils (djihadistes) veulent que je me voile de la tête aux pieds. J’ai refusé et je suis venue m’asseoir dans ma cour. S’ils ne sont pas d’accord, ils n’ont qu’à venir chez moi.»
Son époux, fier de sa réaction, ajoute:
«Ils ne vont pas venir ici pour nous enseigner l’islam. Ils ne savent pas ce qu’est l’islam. Nous avons connu l’islam avant eux. Nous sommes chez nous, et nous resterons chez nous.»
Les jeunes de la localité contestent également ouvertement l’autorité des djihadistes. Une histoire est délicieusement racontée dans la cité.
«La semaine dernière, explique un jeune habitant de Douentza, vers une mare, un djihadiste a été surpris avec une femme. Le promeneur lui a demandé s’il était marié. Le djihadiste surpris par tant d’aplomb a répondu oui. Les preuves de ce mariage demandées, il a voulu réprimander le jeune curieux. Ce dernier a rapidement réuni ses amis qui ont débarqué sur les lieux. Le djihadiste a été déshabillé et fouetté comme si on lui appliquait la charia. Tout ça, devant la fille qu’il draguait.»
D’autres jeunes n’hésitent plus à fumer publiquement.
«Moi, j’ai vu un islamiste fumer un jour, et moi aussi, j’ai tout de suite sorti une cigarette pour fumer. Il m’a regardé, et moi aussi, je l’ai regardé. Il n’a rien dit. Il a continué son chemin, et moi aussi j’ai continué mon chemin», explique avec fierté N. Souaré.
Dans la région de Douentza, par 300td.org, licence CC on Flickr
«Ils boivent, fument et veulent imposer la charia»
Accueillis en «libérateurs», pour avoir chassé dans un premier temps, les Touaregs du fantomatique Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) qui ont, à l’époque, brutalisé les populations locales et qui ont également voulu établir avec ces dernières des relations de vassal à suzerain, les combattants du Mujao sont rapidement devenus à leur tour franchement impopulaires.
AQMI (al-Qaida au Maghreb islamique) également. A Tombouctou, leur bastion, ils font régner la terreur, mais font également moins peur.
«On en a marre d’eux. Mais ils ne font plus peur comme avant. Ils boivent, ils fument, ils sont infidèles et ils nous demandent d’appliquer la charia. Ce sont de faux musulmans», confie un habitant de la ville de Tombouctou contacté par téléphone.
La stratégie de communication des djihadistes montre également des signes d’essoufflement. Moins de cinquante personnes ont assisté le 27 octobre 2012 à la destruction du monument de l’Indépendance de Tombouctou.
«Avant, quand ils voulaient casser un monument ou un mausolée ou fouetter quelqu’un, tout le monde venait voir. Maintenant, on ne veut même plus voir. Comme ça, ils vont voir qu’on s’en fout d’eux», explique un homme de culture, originaire de Tombouctou.
Il souhaite des frappes rapides sur la tête des chef djihadistes, pour que la débandade s’installe. Il confirme également de nombreux cas de désertion dans les rangs des combattants.
Ségou, 250 kilomètres au nord de Bamako. La zone est sous contrôle de l’armée régulière. Trois enfants mineurs sont assis sur un banc, à l’intérieur d’un commissariat de police. Ils sont présentés comme déserteurs des rangs du Mujao (Mouvement pour l’unicité du jihad en Afrique de l’Ouest). L’un d’eux est Malien, l’autre Mauritanien, le troisième Nigérien. En présence d’un traducteur, la discussion commence:
— Vous avez vraiment déserté?
— Oui, dit un jeune âgé de 15 ans.
— Pourquoi?
— J’ai déserté parce que c’est trop dur. On se réveille tôt, on prie, on marche, on court, on fait l’entraînement des armes. Moi, je ne veux plus ça, explique le l’enfant mineur nigérien, désormais pressé de rentrer chez lui.
— Moi, c’est mon frère avec qui j’étais au Mujao qui est parti. Il m’a dit de partir aussi. Je n’aime pas les armes. Je ne savais pas pourquoi j’étais dedans. Maintenant, Dieu merci, je ne suis plus dedans.
Il ajoute:
«Je ne veux plus être moudjahidine (combattant). Ce n’est pas bien. Moi je veux apprendre un métier. Un bon métier, où je vais apprendre à travailler pour m’occuper de ma famille.»
Serge Daniel
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